Le dossier patient personnel : DPP
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Dans une perspective globale, on ne devrait plus parler DU dossier de santé mais DES dossiers de santé. Parmi les divers dossiers de santé, un dossier a été oublié dans la plupart des grands projets: celui du citoyen, et même lorsque des projets personnels émergent (il y en a des dizaines) ils sont la plupart du temps organisés suivant la vision des professionnels de la santé et non des individus concernés par leur santé mais peu connaissants des pratiques professionnelles. L'implication des chercheurs du CeRTAE les a conduit à explorer plus avant la piste du dossier patient personnel dans une optique centrée sur le patient mais connecté aux autres dossiers de santé, en particulier celui du médecin et de l'établissement (comme Cristal-Net).
L'argumentaire suivant a déjà été développé au sein du CeRTAE en relation avec des médecins attachés à la Faculté de Médecine de l'Université Laval.
« L'humanité vient de vivre une troisième révolution informationnelle après l'invention de l'écrit et celle de l'imprimerie. Chacune des deux premières révolutions en changeant la technologie du couplage message/support a changé radicalement les conditions de stockage, communication puis création de l'information et des connaissances. Les conséquences ont rapidement été énormes sur le fonctionnement et l'organisation des sociétés humaines. L'informatique a changé radicalement la technologie de ce couplage message/support (il y a un peu plus de 50 ans).
L'encodage de l'information sur un support électronique que permet l'informatique bouleverse totalement les conditions pratiques et économiques d'accès à l'information: avec sa matérialisation dans internet on constate que le coût de la copie devient quasi-nul, la taille des mémoires ne semble plus limitée et l'espace topologique s'efface (communication quasi-instantanée quelque soit le lieu). Les vieux réflexes de contrôle et de réification de l'information que permettait le support papier sont mis en brèche: l'information n'est plus un bien privatif, mais devient un bien commun. L'émergence de ce qu'il est convenu d'appeler Web 2.0 est un fait, même si les interprétations sont multiples et parfois divergentes deux dimensions s'y imposent. La participation de tous devient possible : internet n'est pas le produit des propriétaires de l'infrastructure, n'est pas contrôlé par une hiérarchie mais est le produit volontariste d'une multitude d'acteurs de statut et importance différents, il est d'ailleurs né de l'initiative de certains utilisateurs de l'informatique et n'existerait tout simplement pas pas tel qu'il est aujourd'hui sans le logiciel libre. D'autre part une nouvelle approche de la gestion des contenus émerge avec le web sémantique en organisant progressivement les descriptions des contenus potentiels de chacun des noeuds de la toile.
Cette révolution de toute évidence s'impose aux systèmes de santé. La plupart des habitants des pays occidentaux ont un accès régulier à internet, ils accèdent à leur compte en banque, font des achats sans soucis de l'adresse des fournisseurs, interagissent entre eux (e Bay et facebook en sont des exemples), le chat est devenu un moyen normal de communication pour toute personne ayant moins de 30 ans, et plus d'une personne sur deux cherche périodiquement de l'information au sujet de la santé (et des maladies) sur internet. À travers internet une énorme quantité d'information est accessible, elle est créée à l'initiative de qui le veut sans autre contrôle que le respect d'un minimum de normes qui garantisse une certaine fluidité de la communication.
Or les grands projets d'informatisation du dossier médical ignorent l'essentiel de ce phénomène : ils concentrent le contrôle sur quelques acteurs de la profession médicale, combattent l'éclatement de l'information en de multiples sites en la rassemblant dans des dépôts centraux, reposent sur un cadre juridique datant du dossier papier unique et la notion de propriétaire masquant ainsi la diversité les rôles de création, utilisation, responsabilité et le caractère relationnel de l'information. Ces grands projets font actuellement face à des difficultés fondamentales qui les conduisent à des échecs ou du moins à des succès très relatifs. Ils se heurtent à la multitudes et la diversités des acteurs et de leurs droits et responsabilités, à la complexité et à l'hétérogénéité de l'information, à l'absence ou la mauvaise qualité des identifiants (il est primordial de ne pas confondre deux patients), au poids du passé.
Ces grands projets souffrent d'un défaut fondamental d'alignement stratégique dans le cadre de la révolution numérique et n'en n'ont intégré que quelques éléments pratiques et technologiques mais non l'esprit : le système de santé par l'autonomie de ses acteurs (à commencer par le médecin qui est un entrepreneur travaillant à l'acte) entraîne la création d'une multitude de dossiers au sujet des patients, ces dossier répondent à des besoins complémentaires mais différents, les intégrer devient un tâche très difficile alors que le besoin est leur mise en communication (fonction qui se retrouve cependant partiellement par la force des choses dans les grands projets).
De plus en plus les patients demandent à être partie prenante du processus de soin qui les concerne et à ne plus être considéré comme un client passif d'un fournisseur de service omnipotent et exclusif. Dans la société de l'information numérique ils ont accès à une nouvelle masse de connaissance et ont la capacité de gérer de leur point de vue et pour leur bénéfice leur propre information de santé et ainsi devenir un rouage essentiel de communication entre les différents professionnels de la santé avec lesquels ils interagissent. De leur côté les médecins peuvent légitimement gérer un dossier pour ce même patient incluant des informations qu'ils ne souhaitent par partager avec son patient. Dans une vision de l'informatisation de la santé basée sur la métaphore de la toile, il n'y a pas UN dossier patient mais plusieurs dossiers d'un patient créés à des moments différents par des acteurs différents qui doivent pouvoir sous la responsabilité de leur créateur, utilisateur ou responsable être en tout ou partie mis en communication: le dossier unique n'existe pas, il est virtuel. Dans internet il n'y a ni grand chef ni contrôleur central, chaque noeud est responsable de lui même et des communications avec les autres et ça marche! Pourquoi pas pour un domaine limité, celui de la santé.
L'un des noeuds essentiel du réseau d'information sur la santé des patients pourrait être maintenu par le patient (ou un ayant droit s'il n'en est pas lui même capable comme un enfant ou une personne en perte d'autonomie) nous l'appelons le dossier patient personnel (DPP), c'est un dossier qui contient ce que veut le patient et ce qu'il peut obtenir de ses autres contacts ou dossiers (analyses, diagnostics), il est donc complémentaire des autres dossiers et le médecin devrait pouvoir y accéder, quand le patient le lui permet ou le lui demande, et copier des informations de ce dossier vers le sien et réciproquement après accord avec le patient. Ce dossier peut donc servir de mise en relation des dossiers au coup par coup sous la responsabilité du patient: il est ainsi un composant essentiel du dossier virtuel du patient.
Si ce dossier ressemble par certain côté à celui qui a été envisagé par exemple dans une carte à puce, il en diffère, il n'est pas le dossier du médecin ni du système administratif de la santé, il n'y a pas de contrôle de la véracité de l'information: il représente la vue que le patient veut présenter au système de santé (charge au médecin de l'interpréter), il est sous le contrôle direct et exclusif du patient, il réside sur un serveur en lequel le patient a totalement confiance et qui lui appartient, il ne fait appel à aucune technologie dédiée: il utilise internet et ses standards ainsi que le mécanismes de sécurité les plus communs mais validés. Le logiciel devrait être libre (le logiciel libre a amplement démontré la faisabilité et les avantages pour un tel besoin) et une solution comme l'hébergement du dossier dans un environnement coopératif offre la meilleure garantie du respect et de l'évolution du DPP. Une contrainte doit cependant être maintenue, via par exemple l'accréditation de versions du logiciel, pour garantir la sécurité (et non la véracité des contenus) des échanges avec les autres dossiers. »
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Daniel Pascot, Département des SIO, Faculté des Sciences de l'Administration
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