Qui décide ?

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Qui décide des investissements en ressources informationnelles dans le gouvernement du Québec ? En tout cas semble-t-il pas les élus, c'est du moins ce qui ressort de l'audition de certains débats ou commissions à l'Assemblée nationale, ou d'interviews en regard des actions qui s'en sont suivies.

Observation d'une chronique. Je retiens quelques événements publics qui manifestent des positions fermes, intelligentes et encourageantes pour le logiciel libre:

  • Avril 2010 : Commission parlementaire, mémoires de L'APELL et de FACIL devant notamment mesdames Michèle Courchesne, Marie Malavoy et monsieur Sylvain Simard

  • Décembre 2010 : Madame Michèle Courchesnes, fais l'allocution de clôture du salon du logiciel libre

  • Décembre 2010 : Conférence de presse de Mme Michelle Courchesne, sur le projet de loi concernant la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement

  • Mai 2012 : Conférence de presse de M. Henri-François Gautrin, leader parlementaire adjoint du gouvernement et de Mme Michelle Courchesne, présidente du Conseil du trésor

  • Juin 2012 : Madame Malavoy questionne Madame Courchesne dans la période de questions

  • Janvier 2013 : interview de Monsieur Sylvain Bédard à Radio Canada

  • Février 2013 : Étude des crédits budgétaires 2013-2014 du Conseil du trésor et de l'Administration gouvernementale, volet Technologie de l'information

Je ne doute pas de la bonne volonté, de l'intelligence, de la sincérité et du désir de « faire évoluer les choses » de la part de ces femmes et hommes politiques, mais force est de constater que tous ces engagements et ces belles paroles jusqu'ici n'ont abouti à rien. Quels sont les progrès de l'usage des logiciels libres dans le gouvernement? Henri-François Gautrin répond lui-même à sa question  : presque rien, en pratique il y a une énorme résistance, pour qu'une petite chose se passe il a fallu qu'il frappe du poing sur la table, les gens comme lui sont aussi rares que leurs effets. En sera-t-il de même de l'engagement manifesté dans les derniers échanges de l'étude des crédits cette année? On ne peut que le craindre.

Les chiens aboient, mais la caravane passe, les bottines ne suivent pas les babines, parle toujours mon pote, amuse galerie, écran de fumée, vœu pieu, angélisme… on ne manque pas de proverbes, de dictons ou d'images pour décrire cette situation.

Mais alors qui donc décide? On a l'impression d'être en présence d'une non-décision? On n'a pas le choix, nous dit-on, la « vraie réalité » s'impose à nous et c'est trop complexe pour changer sans risque, la rigueur s'impose, service et responsabilité avant tout. Autrement dit, c'est le système qui décide.

Le système, oui, mais quel est ce système?. Un système réfère à des acteurs et un comportement en fonction d'objectifs, observez le système, vous en déduirez les objectifs et réciproquement. Autrement dit, comme dans les bons polars, « à qui profite le crime? »

Donc, qui en profite? Certainement les fournisseurs, mais ils ne sont pas les seuls, ils ne sont qu'une partie du problème. Les fournisseurs ont besoin de clients pour leurs produits ou services, ça s'appelle un marché, et un marché de haute technologie, ça se crée. Alors qui sont les clients? Le public qui a élu son gouvernement pour gérer les services communs? Non, pas avec les TI, les clients des fournisseurs sont des spécialistes qui évoluent dans un espace qui leur est propre, la fonction publique (bien décrite par Jean Laliberté, qui connaît bien ce dont il parle, dans son ouvrage les fonctionnaires).

Ces spécialistes sont doublement isolés des citoyens : par l'administration qui a ses rites et par l'écosystème créé par les fournisseurs.

Les fournisseurs par leur pression commerciale et leur lobby (il faut savoir que dans ce domaine les budgets de mise en marché peuvent dépasser 80% du chiffre d'affaires) exercent une pression continue aussi bien sur les techniciens que sur leur environnement, les décideurs administratifs et politiques. Ils assurent ainsi la clôture d'un petit monde difficile à pénétrer qui échappe ainsi au contrôle citoyen. Cette pression (qui s'étend même au système éducatif), sous une apparence d'uniformisation, a pour effet d'isoler et de contrôler chacun des décideurs d'investissement et leurs employés au détriment des mises en commun, multipliant ainsi les occasions d'affaires verrouillage par verrouillage. Il faut en effet savoir que les effets d'adhérence entre logiciels (via les formats, les interfaces et les choix de fonctionnalités) sont très forts. Celui qui les contrôle, contrôle l'ensemble des ressources informationnelles et la répartition des dépenses et investissements, et actuellement ce n'est pas le public qui les contrôle, ni, hélas, les spécialistes de la fonction publique (comme nous le fait comprendre le vérificateur général).

L'administration a ses rites qui se matérialisent dans une hiérarchie au sein de laquelle chacun aspire à progresser, progression qui se fait en fonction de l'importance du service (nombre d'employés et budget) et de l'image projetée pour les rangs supérieurs (cela s'appelle la gestion de la carrière). Le contrôle de cette hiérarchie repose sur des règlements et lesdites « bonnes pratiques » ainsi que sur le contrôle de qualité. Ces rites ont pour effet un alourdissement et un ralentissement considérables, avec pour contrepartie la déresponsabilisation des exécutants. Leur statut est tel que chaque situation problématique appelle un surcroît de contrôle, sans que l'on se pose la question : et si l'on fait plus de la même chose, n'aura-t-on pas plus du même résultat?.

Ainsi le système s'auto-entretient. Ce système qui s'est développé, en connivence entre le monde des fournisseurs et celui ses spécialistes, dans l’administration (mais aussi dans les entreprises et chez les particuliers) depuis une trentaine d'années est opaque et très stable, c'est ce qui fait dire à Henri-François Gautrin qu'il offre une énorme résistance et qui le fait militer, avec raison, pour un gouvernement ouvert. Le Québec n'est d'ailleurs pas, faible consolation, sa seule victime.

Ce système est aux antipodes du mode de fonctionnement « avec » le logiciel libre. « Avec » et non « du » logiciel libre, car le logiciel libre est une chose commune entre les « fournisseurs » et les « clients », ce qui est totalement étranger au « système » actuel qui repose sur une distinction fondamentale entre les fournisseurs et les clients. Cette dichotomie est reflétée par les politiques qui privilégient l'acquisition du clé en main au détriment du développement interne et les pratiques rigoureuses des appels d'offres et de l'approche contractuelle. Pratiques éloignées de la démarche collaborative inhérente au modèle du logiciel libre. Henri-François Gautrin promeut les communautés de pratique, le logiciel libre va au-delà, il repose sur la pratique des communautés.

Peut-on espérer bénéficier des apports des logiciels libres qui reposent sur un mode radicalement différent de l'idéologie et de la culture qui prévalent actuellement, bien que n'excluant pas la dimension économique (le logiciel libre est basé sur le partage, la mise en commun et non le don ou le bénévolat) sans initier un changement du système? Je pense que non, les simples projets de remplacement d'un code propriétaire par un code libre ne donneront que des améliorations marginales vite occultées par le système. Ils ne permettront pas les gains de mutualisation qui sont le principal apport économique du logiciel libre. En tout cas, c'est ce qui se passe actuellement à de rares exceptions près dans le gouvernement.

Mais alors, comment faire en sorte que les politiciens deviennent les décideurs, et que leurs décisions soient respectées?

 

Références et quelques commentaires

 Avril 2010 : Commission parlementaire, mémoires de L'APELL et de FACIL

 http://ia700609.us.archive.org/24/items/CyrilleBraudPrsenteLeMmoireDeFacilLorsLaCommissionParlementaire/cfp201103241130_CONS.wmv

 http://ia600502.us.archive.org/0/items/DanielPascotPrsenteLeMmoireDeFacilLorsLaCommissionParlementaire/cfp201104051930_CONS.wmv

Décembre 2010, Madame Courchesnes, madame la présidente du Conseil du trésor - Michèle Courchesne - allocution de clôture :

http://s2lq.com/zone-vid%C3%A9o, elle constate (entre autres) les chasses gardées, le travail en silo, et que le gouvernement a laissé filer les expertises ...

Décembre 2010 Conférence de presse de Mme Michelle Courchesne, présidente du Conseil du trésor...

Projet de loi concernant la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement

(Durée : 0 h 46)

http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-33879.html

Mai 2012 : Conférence de presse de M. Henri-François Gautrin, leader parlementaire adjoint du gouvernement et de Mme Michelle Courchesne, présidente du Conseil du trésor (lancement du rapport Gautrin sur le gouvernement ouvert)

 http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-41563.html

http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-8917.html

Le rapport http://www.mce.gouv.qc.ca/publications/rapport-gautrin-web-2-2012-03-06.pdf

 

Juin 2012 : Madame Malavoy questionne Madame Courchesne Réflexions, texte écrit quelques jours après, suite la la visualisation de l'enregistrement.

 La société numérique a un avantage : les débats laissent des traces, ils offrent ainsi l’occasion d'analyse à tête reposée, ce que je me permets de faire sur la retransmission des affaires courantes de l'Assemblée nationale à l'occasion de la question posée par la députée madame Marie Malavoy le 7 juin (http://www.assnat.qc.ca/wmv/video/39_2/CH/WMS_RM_FILTER/ch20120607_QO.wmv à la minute 28) en s'appuyant sur la lettre ouverte que j'ai cosignée. Dans cette lettre nous rappelions que le recours aux logiciels libres a permis à plusieurs gouvernements de faire des économies considérables en ce qui concerne l'informatique.

 La ministre, madame Michelle Courchesne a répondu en rappelant loi votée à l'unanimité qui reconnaissait et définissait non pas le patrimoine informatique comme elle a dit, mais le patrimoine numérique. Je trouve très significatif qu'elle ait remplacé, sans le relever, le mot numérique par informatique. Le concept de patrimoine numérique avait été apporté par Cyrille Béraud et moi-même, et je pensais qu'il avait été compris, hélas j'en doute maintenant. Le patrimoine numérique concerne les documents textuels, audio, vidéo que nous réalisons à l'aide de logiciels. Ils ne peuvent ensuite être accessibles que par un logiciel. Le patrimoine numérique désigne ces documents ET les logiciels qui sont nécessaires pour les créer, les consulter et les modifier aussi longtemps qu'on le veut. C'est pour cela que nous devons en tant que citoyens avoir le contrôle sur les logiciels, ce que permet le logiciel libre. C'est d'autant plus intéressant que c'est en même temps une option économique : moins cher que le logiciel propriétaire et offrant plus de retombées économiques locales. En rapport avec la question de Marie Malavoy sur l'influence du lobby de Microsoft, on peut légitimement se demander qui est responsable de ce retour vers la prédominance des outils informatique dans les décisions d'investissement.

 Poursuivons l'analyse de la réponse qui nous assure que les études vont être faites, on espère, mais on commence à en douter, avant que les décisions ne soient prises, il y a en effets bien des précédents inquiétants en ce domaine. L'analyse sera sérieuse, avec des critères très spécifiques. On notera par ailleurs sur les 45 minutes sur diverses questions que dure l'enregistrement le nombre de fois où les mots justes, justement, critère, norme rigoureuse, règle, suivi détaillé… sont utilisés sans jamais préciser lesquels et pour ne pas vraiment répondre aux questions; oui je sais c'est trop technique et long de les présenter en chambre. Ils sont effectivement parfois connus, parfois non, surtout en ce qui concerne les logiciels libres, mais surtout s'est-on questionné sur qui les formule, et a-t-on accès librement aux documents d'analyse? Il m'est facile de démontrer que le choix de certains critères favorise systématiquement une option par rapport à une autre.

 Continuons l'analyse, face à l'insistance de Marie Malavoy sur l'influence du lobby de Microsoft la réponse de Michelle Courchesne est du type de celle qui m'avait valu une belle paire de gifles de la part de mon père (à ce moment-là les parents avaient encore ce droit!) pour m'apprendre que les bêtises des autres ne pouvaient pas justifier les miennes. Elle répond en dénonçant le lobbyiste Cyrille Bério (l'erreur sur le nom ainsi que le ton et la gestuelle utilisés semblent indiquer l'improvisation de quelqu'un acculé dans les cordes) et alors là bravo : comment peut-on comparer sur le même plan le lobby d'une riche grande entreprise multinationale notoirement monopolistique comme Microsoft et le militantisme et l'engagement d'un chef de PME (environ 40 employés) quand on sait (ou devrait savoir) qu'il ne fait que vendre du service dans un environnement totalement concurrentiel puisque les logiciels qu'il utilise sont par nature accessibles dans les mêmes conditions à tout le monde.

 En conclusion, j'avoue que j'ai trouvé l'audition de cet enregistrement très pénible, je n'aurai pas aimé être à la place de la ministre, elle me donnait l'impression d'être victime du système des partis, mais cela est une autre question et je vous renvoie au petit livre de Jean Laliberté, « réinventer la démocratie », au moins en ce qui concerne son analyse, que je partage, du système des partis.

Janvier 2013 : interview de Monsieur Sylvain Bédard à Radio Canada. Notes prises durant l'interview

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Février 2013 Étude des crédits budgétaires 2013-2014 du Conseil du trésor et de l'Administration gouvernementale, volet Technologie de l'information

 http://www.assnat.qc.ca/wmv/video/40_1/CFP/WMS_RM_FILTER/cfp201320072000_EC.wmv

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