Demande d’enquête sur l’informatique au gouvernement du Québec : déclaration commune de 16 groupes de la société civile, le 13 février 2015

Voir également la version ODT de la déclaration commune de même que la version lue devant les caméras en conférence de presse.


Nous dévoilons aujourd’hui un compteur, en temps réel, du gaspillage en informatique au gouvernement du Québec. Bien que ce soit étourdissant à voir tourner, c’est d’autant plus scandaleux en ces temps d’austérité au Québec de constater qu’à chaque heure qui passe, on paie 97 000$ de trop pour des projets informatiques gouvernementaux.

Il y a 2 ans, le SFPQ demandait au gouvernement de mettre sur pied une enquête publique sur la gestion de l’informatique au gouvernement du Québec.

Nous invoquions alors une similitude entre ce qui se passe actuellement dans les technologies de l’information (TI) et les pratiques observées dans l’octroi et la gestion des contrats publics du secteur de la construction, lesquels ont mené à la mise sur pied de la commission Charbonneau. À ce jour, les pratiques sont demeurées inchangées dans le secteur des TI gouvernementales :

  • absence de concurrence,
  • présence des mêmes firmes qui se séparent la majorité des contrats publics,
  • dépassements de coûts et retards dans l’échéancier de livraison,
  • dépendance du gouvernement envers les firmes privées.

À cette époque, le Président du Conseil du trésor avait réagi en mentionnant que si des irrégularités étaient portées à son attention, il serait ouvert à déclencher une enquête sur l’informatique au gouvernement du Québec. À ce moment-là, comme aujourd’hui, les journaux débordaient de fiascos informatiques au gouvernement du Québec et nous savons que l’Unité permanente anticorruption (UPAC) a été saisie de plusieurs cas, notamment les accusations criminelles portées contre l'ex-dirigeant d'EBR informatique et un haut cadre du ministère de la Sécurité publique qui ont tous deux été arrêtés par l’UPAC, en juin 2014, pour abus de confiance, complot et fraude. Ce « stratagème collusoire » dans un ministère prouve que la collusion fait bel et bien partie du problème informatique au gouvernement du Québec, mais ce n’est pas tout.

L’enquête que nous demandons doit analyser l’ensemble des problèmes informatiques au gouvernement du Québec, en déterminer les causes, en identifier les composantes et entreprendre un débat public pour résorber ce problème récurrent de fiascos informatiques – car chaque année, le gouvernement dépense 3 milliards de dollars en informatique. Le Vérificateur général du Québec s’inquiète d’ailleurs des dépenses informatiques dans les ministères et organismes depuis plusieurs années et plusieurs de ses rapports font état de fiascos et de mauvaises pratiques de gestion de l’informatique dans l’administration publique.

De plus, le gouvernement élu le 7 avril 2014 a fait des promesses en matière de technologies de l’information, notamment à l’effet d’être plus transparent, de régler l’informatisation du réseau de la santé et de mettre en place un gouvernement « ouvert » dont le chantier est grandement en retard. Le premier ministre a aussi promis que son gouvernement serait celui de la collaboration, de l’intégrité et de la rigueur financière. Il faut donc s’attaquer à ce gaspillage éhonté. D’ailleurs, en décembre dernier et encore récemment, le Président du Conseil du trésor a déclaré vouloir régler le problème informatique. De surcroît, l’automne dernier, le premier ministre a tenu le Forum des idées pour le Québec, une rencontre prévue pour discuter d’innovation et du monde numérique. M. Couillard a alors promis d’élaborer une stratégie numérique pour le Québec. Tous ces chantiers amènent nécessairement des réflexions et des discussions collectives.

Nous sommes seize (16) groupes de la société civile qui demandons que le gouvernement mette sur pied, dès maintenant, une enquête publique pour discuter des problèmes que j’ai énoncés précédemment, mais aussi du mode de gestion que l’État doit mettre de l’avant pour ses projets technologiques et des façons d’améliorer la transparence démocratique que le gouvernement pourrait mettre de l’avant grâce aux technologies de l’information. En outre, considérant que les révélations du lanceur d’alertes Edward Snowden ont montré combien il était dangereux de confier des renseignements personnels sensibles aux géants privés de l'informatique qui les donnent ensuite aux agences de renseignements gouvernementales américaines, nous demandons que cette enquête soit aussi l’occasion d’examiner comment l’État s’acquitte de ses obligations à l’égard de la protection des renseignements personnels.

C’est l’ensemble de ces éléments qui sont à considérer pour asseoir la crédibilité du futur plan numérique du gouvernement du Québec et l’examen de ces différents éléments est évidemment préalable à tout plan d’action sérieux en la matière. D’ailleurs, cette enquête doit, à terme, nous aider collectivement à faire un ménage dans les projets informatiques et la façon de les déployer au gouvernement du Québec. Cela doit être fait avant d’entreprendre de nouveaux projets qui pourraient s’avérer ruineux pour le Trésor public. Le gaspillage actuel dans les technologies de l’information est d’ailleurs un véritable frein pour le Plan global de gouvernance numérique ouverte et intelligente proposé par Couillard aux membres du PLQ lors du conseil général de ce parti le 18 octobre 2014. Malheureusement, sa réalisation est sérieusement compromise par le gaspillage d'argent public en TI, mais aussi par le déficit d'expertise interne au gouvernement. On remarque que des acteurs internes et externes ne veulent pas de changement de gouvernance et de gestion en matière d’informatique au gouvernement du Québec, mais on ne peut plus accepter ces résistances. Un coup de barre doit être donné.

La gestion publique des ressources informatiques de l’État nous préoccupe tous, et ce, à différents niveaux. Certains d’entre nous sont intéressés par la culture et l'éthique du logiciel libre et des opportunités que cela représente pour les organismes publics, certains sont inquiets du Dossier santé et de la manière dont l’information du dossier « patient » sera protégée et qui y aura accès, d’autres sont outrés que l’on coupe dans les services publics dans une campagne d’austérité alors que des millions de dollars sont inutilement gaspillés en informatique au gouvernement, bref, c’est cette pluralité des défis et enjeux qui justifient notre sortie commune aujourd’hui.

Le Québec doit faire le point sur les technologies de l’information, leur place et leur gestion par le gouvernement du Québec et, en cette période où on ne parle que de finances publiques, des moyens d’optimiser les dépenses publiques en cette matière. Le gouvernement cherche de l’argent, on lui dit qu’il y a dans ses projets informatiques une source importante d’économies, mais on lui dit aussi que le débat ne peut se limiter à cela.

Nous devons entreprendre une large réflexion sur l’informatique, la gestion et la diffusion de l'information au sein de l'État québécois de même que sur le rôle de l'État dans notre maîtrise collective des enjeux du numérique. Nous devrions explorer plusieurs questions. Par exemple :

  • Nous devons examiner les coûts et la question de l’expertise au gouvernement pour éviter qu’il devienne captif de ces fournisseurs externes.
  • Les débats sur les coûts devraient aussi inclure une réflexion sur la notion d’une juste distribution des richesses de la nouvelle économie entre les différents acteurs économiques, notamment l’accès des PME aux contrats publics.
  • Nous devons enquêter véritablement pour vérifier une possible collusion et corruption dans l'octroi et la gestion des contrats publics en informatique. Nous devons discuter des principes de gestion des projets en informatique au gouvernement et de l’encadrement règlementaire qui régissent ces projets. Il en va de l'indépendance technologique du Québec.
  • Le gouvernement doit aussi s’intéresser davantage à l’univers des logiciels libres, en raison des coûts, oui, mais également pour diminuer sa dépendance aux grandes firmes et devenir propriétaire de ses logiciels. Il serait d’ailleurs intéressant d’identifier les obstacles mis sur la route des huit mesures de Stéphane Bédard de mars 2013 visant à accroître l'utilisation du logiciel libre dans l'État québécois.
  • Un bilan de la réforme sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles amorcée en 2011 doit être fait pour savoir pourquoi elle a eu peu d'effets.
  • Nous devons réfléchir aussi sur les services publics électroniques qui deviennent obligatoires et qui remplacent les services publics offerts par des personnes. Cette manière d’offrir des services publics soulève des questions importantes concernant l’accessibilité aux services pour les 49 % d’analphabètes fonctionnels du Québec et les gens qui n’ont pas accès à Internet haute vitesse dans leur région, mais cela pose aussi des enjeux de protection des renseignements personnels pour les organismes publics.
  • Nous pensons qu’il faut aussi regarder les possibilités démocratiques que l’informatique offre pour améliorer la transparence et la reddition de comptes du gouvernement, ce qui améliorerait la qualité de la vie démocratique. De fait, le rapport entre les technologies de l’information et la démocratie nous pose des questions sur la pérennité, le libre accès et la libre réutilisation de notre patrimoine numérisé et numérisable.
  • Les technologies de l’information posent également des défis en matière de défense des droits et libertés dans la société numérique comme le respect de la vie privée et la liberté d'expression et d'information, mais aussi l’émergence de nouveaux droits et de nouvelles libertés devenus essentiels face au numérique comme l’accès universel à Internet et le contrôle de nos données personnelles.

La forme que prendra l’enquête importe peu : elle doit être indépendante, rigoureuse, large et ouverte à tous. Nous réclamons donc un forum public offrant une protection réelle pour les employés de l’État qui voudraient signaler des irrégularités. La porte serait aussi ouverte aux entrepreneurs qui voudraient rapporter des stratagèmes collusoires. Toute forme de représailles envers le divulgateur d’actes répréhensibles doit être empêchée dans le cadre de l’enquête demandée. Il en va de même pour l’adoption d’une législation québécoise claire, précise, concise, amplement diffusée et ayant une portée très large dans le domaine de la protection des divulgateurs, autant dans le secteur public que privé. Cette législation se fait d’ailleurs cruellement attendre.

Tous les syndicats présents dans les secteurs public et parapublic ont des histoires d’horreur à raconter. Des histoires à propos d’employés sanctionnés pour avoir osé dénoncer à leur syndicat ou à d’autres instances (Vérificateur général du Québec, médias, etc.) des éléments anormaux dans la gestion de projets gouvernementaux d’envergure. Leur pleine et entière collaboration est pourtant essentielle si le gouvernement veut régler plusieurs aspects du problème.

La collusion et la corruption dans le secteur de la construction au ministère des Transports (MTQ) sont apparues lorsque la sous-traitance est devenue importante. La sous-traitance a provoqué une perte d’expertise, laquelle, à son tour, a engendré une forte dépendance envers les firmes privées, une diminution graduelle de la concurrence et des dépassements de coûts importants. La perte d’expertise dans le secteur de l’informatique au gouvernement du Québec – sans oublier d’autres domaines – est directement attribuable à la réduction des effectifs, à une rémunération non compétitive, et donc à l’accroissement de l’externalisation des dépenses publiques, surtout dans des domaines stratégiques. L’enquête demandée dans le secteur de l’informatique au gouvernement du Québec doit également faire la lumière sur l’ensemble de ces questions.

La liste de tous les fiascos rapportés par les journaux dans les dernières années est longue. En réponse à ceux-ci, le gouvernement a créé un tableau de bord virtuel qui doit nous permettre de suivre l’évolution de tous les projets majeurs en informatique au gouvernement. Selon ce tableau de bord, tous les projets majeurs en cours vont bien. Pourtant, lorsqu’on ouvre les fiches des projets, un par un, on constate que même si un projet est réalisé à 20% et que 50% du budget est déjà dépensé, le projet reçoit tout de même une côte de 10/10 (vert). C’est inacceptable, transparence et rigueur doivent redevenir les mots clés de la gestion informatique au gouvernement du Québec.

En terminant, nous demandons à tous les partis d’opposition d’endosser notre requête et de la porter à l’Assemblée nationale. Il ne faut pas lâcher le morceau devant les quelques mesures mises de l’avant par le Président du Conseil du trésor en décembre dernier. Notre regroupement ne se satisfera pas des habituelles réponses que les politiciens nous servent. Dans le cas présent, M. Coiteux va sûrement nous répondre qu’il a bougé dans le dossier puisqu’il a « remercié » le précédent directeur de l’information, le grand patron de l’informatique au gouvernement du Québec. Il dira qu’il a remplacé Jean-Marie Lévesque par Jean-Guy Lemieux – lequel a dû quitter ses fonctions à peine cinq semaines après son entrée en poste dans la tourmente d’un conflit d’intérêts en informatique. De plus, il va vous dire qu’il vient de nommer un nouveau PDG au Centre de services partagés du Québec avec la mission d’améliorer l’informatique au gouvernement du Québec, tout cela n’est pas suffisant. Les groupes qui suivent le dossier depuis quelques années savent que nous avons déjà joué dans cette pièce de théâtre dans le passé sans que cela ne donne de résultats. Le temps des mesures cosmétiques est terminé, c’est un véritable chantier qui doit être entrepris.

L’informatique au gouvernement du Québec est un enjeu depuis aussi longtemps que les ordinateurs ont fait leur apparition dans les milieux de travail dans les années 1980. Si les contribuables et le gouvernement veulent des solutions réelles, il faut que tous les acteurs interpellés par cet enjeu prennent le temps de se parler, de confronter des idées, des solutions et d’aller en profondeur. Il nous semble qu’il est grand temps de faire ce débat et c’est pourquoi nous unissons nos voix pour demander une enquête publique.

Si vous appuyez cette idée, nous vous invitons à aller signer la pétition déjà commencée par le SFPQ en 2013 et que nous relançons aujourd’hui sur le site Internet Avaaz. Cherchez la pétition intitulée « Martin Coiteux, président du Conseil du trésor: Une enquête publique sur l'informatique au Québec ».

L’appui des citoyens et des divers groupes de la société civile est essentiel pour faire comprendre au gouvernement, M. Coiteux en tête, qu’il doit entreprendre cette enquête pour arrêter le gaspillage de millions de dollars chaque année.

Parce que le compteur tourne et que l’inaction n’est plus possible, nous demandons une enquête maintenant !

Liste des groupes signataires

1. Association science et bien commun (ASBC)
2. Centrale des syndicats du Québec (CSQ)
3. Centrale des syndicats démocratiques (CSD)
4. Centre Justice et Foi/Revue Relations
5. Coalition des Tables régionales d’organismes communautaires (CTROC)
6. Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics
7. Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
8. FACIL, pour l'appropriation collective de l'informatique libre (FACIL)
9. Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
10. Fédération autonome de l’enseignement (FAE)
11. Hackons la corruption
12. Ligue des droits et libertés (LDL)
13. Regroupement des organismes communautaires de la région 03
14. Réseau québécois d’action communautaire autonome
15. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ)
16. Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)